La révolution du “hashtag”

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Lorsque 276 adolescentes nigérianes ont été kidnappées en avril 2014, Oby Ezekwesili, militante de la société civile et ancienne vice-présidente de la Banque mondiale, a été consternée par la réaction mièvre de son gouvernement et de la télévision locale.

Mme Ezekwesili et d’autres, ont utilisé les médias sociaux pour exiger une intervention gouvernementale et ont en parallèle manifesté dans la capitale Abuja.

En trois semaines, l’initiative Bring Back Our Girls (Rendez-nous nos filles) a placé le kidnapping des jeunes filles sur le devant de la scène mondiale : le hashtag a été tweeté plus d’un million de fois, y compris par des personnalités influentes telles que Michelle Obama et la militante pour les droits des filles et lauréate du prix Nobel, Malala Yousafzai. Ce mouvement populaire a forcé le gouvernement nigérian à reconnaître l’enlèvement et à consacrer davantage de ressources au sauvetage.

Les jeunes et la technologie

Depuis le Printemps arabe de 2011, les jeunes Africains utilisent la technologie comme moyen de mobilisation. Des images de jeunes Africains rassemblés en signe de protestation et mobilisés autour de hashtags sont désormais monnaie courante sur Twitter, Facebook et autres.

Le professeur Alcinda Honwana, conseillère interrégionale sur la politique de développement social au Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, affirme que l’instantanéité des médias sociaux constitue un facteur clé de mobilisation et un catalyseur de changement.

« Sans les réseaux sociaux, il serait très difficile d’organiser un important rassemblement en 48 heures », a déclaré le professeur Honwana. « Ils permettent aux organisateurs d’avoir un impact majeur sur la société », explique-t-elle, « parce que vous pouvez réunir un grand nombre de personnes très rapidement sans descendre dans la rue, faire du porte-à-porte ou distribuer des prospectus ».

L’activisme politique des jeunes a probablement préservé l’intégrité des élections de 2016 en Gambie. Ils ont commencé à utiliser le hashtag #GambiaHasDecided (La Gambie a décidé) quand l’ancien président Yahya Jammeh a refusé de quitter le pouvoir après sa défaite électorale. Ce mouvement anti-Jammeh s’est répandu sur Facebook, Twitter et Instagram, encourageant les citoyens à arborer des t-shirts portant ce slogan.

« Les médias sociaux ont à jamais changé la dynamique de la politique en Afrique », a déclaré Raffie Diab, l’un des leaders et fondateurs du mouvement.

En octobre 2014, des jeunes se sont réunis sur les réseaux sociaux pour protester contre Blaise Compaoré, alors président du Burkina Faso, qui prévoyait de modifier la constitution afin de briguer deux mandats supplémentaires après 27 ans au pouvoir.

L’émergence des mouvements populaires Ça suffit et Le balai citoyen a permis de renverser un président africain, pour la première fois depuis le Printemps arabe.

Promouvoir la transparence

Des jeunes Sénégalais ont attiré l’attention sur le taux de chômage élevé dans leur pays à travers les réseaux sociaux, et ont encouragé la population à éjecter le président Abdoulaye Wade lors des élections de 2012.

Alors que les populations ont diffusé les abus du gouvernement à travers des photos et des vidéos pendant le Printemps arabe, la jeune génération africaine utilise les réseaux  pour promouvoir la responsabilité et la transparence.

À titre d’exemple, Livity Africa, une organisation à but non lucratif basée en Afrique du Sud, cherche à faire entendre la voix des jeunes à travers sa chaîne diffusée dans l’ensemble du pays, « Live Magazine » SA. Lancée en 2011, elle insiste sur les problèmes négligés par les médias traditionnels et encourage les pouvoirs publics à rendre compte de leurs actes via sa rubrique hebdomadaire « Live from Parliament » (En direct du Parlement).

La plateforme web et SMS « Shine Your Eye », basée au Nigeria, favorise le droit de regard du grand public sur les activités des élus en donnant accès à leurs dossiers personnels.

Même les dirigeants africains qui font campagne s’appuient désormais sur les nouvelles technologies pour susciter l’attention des jeunes.

Les électeurs âgés de moins de 35 ans représentaient 51 % de l’électorat en 2017 au Kenya, et le nombre d’électeurs âgés de 26 à 35 ans a plus que doublé depuis 2013, selon les données de la commission électorale.

Le président kenyan Uhuru Kenyatta publie régulièrement sur ses comptes Facebook et Twitter, et ses partisans expliquent que ses stratégies de communication « démystifient la présidence ».

Par souci de rupture avec son prédécesseur Robert Mugabe, qui ne possédait pas de smartphone, le nouveau président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, a très rapidement engagé un dialogue direct avec ses compatriotes sur les réseaux sociaux.

M. Mnangagwa devient de plus en plus populaire en publiant sur Facebook et Twitter de courtes vidéos dans lesquelles il encourage les populations à faire part de leurs idées dans le cadre d’un « nouveau dialogue national », affirmant que le leadership est une « voie à double sens ».

Bien que l’engagement politique des jeunes se soit exacerbé ces dernières années sur le continent, ceux-ci ont principalement manifesté leur intérêt à travers des manifestations et de l’activisme plutôt que par le vote.

Conséquences négatives

L’utilisation des médias sociaux par les jeunes pour témoigner de leur engagement a également eu des conséquences négatives. « Malheureusement, les médias [sociaux] ne sont pas toujours utilisés à bon escient », souligne un membre de l’Alliance africaine de l’Union chrétienne des jeunes, un important réseau panafricain pour le développement de la jeunesse. Il ajoute qu’« au contraire, de plus en plus de rapports indiquent que les jeunes se servent de ces espaces virtuels comme plateformes de harcèlement en ligne, de violence et d’intimidation ». L’association explique que nous vivons « dans une ère où l’accès à des images et des vidéos choquantes est sans précédent », et celles-ci peuvent avoir une influence néfaste sur les jeunes.

En 2016, la Banque africaine de développement, a souligné que, d’ici 2050, l’Afrique compterait 38 des 40 pays du monde ayant la population la plus jeune, et que l’âge médian de la population de tous ces 38 pays serait de 25 ans. Le vote des jeunes sera donc déterminant pour les résultats des élections.

Les initiatives visant à encourager les jeunes à voter foisonnent sur le continent. En 2014, la commission électorale sud-africaine a lancé l’initiative « I Voted » (J’ai voté) pour que les électeurs publient une photo de leur pouce imbibé d’encre sur les réseaux sociaux avec le hashtag #IVoted, qui a été tweeté plus de 30 000 fois.

Pas la panacée

Toutefois, le professeur Honwana souligne que les médias sociaux ne sont pas une panacée à l’apathie. Dans le cas de l’Afrique du Sud, les jeunes ne représentaient que 18 %  des électeurs lors des municipales de 2016, bien que les moins de 35 ans représentent 66 % de la population totale.

Elle affirme que, même si les médias sociaux peuvent être un moyen précieux pour rappeler l’importance du vote, les jeunes ne se rendront aux urnes que s’ils estiment que leur vote apportera de vrais changements dans leur vie.

Lors de l’élection présidentielle gambienne de 2016 par, les jeunes ont largement soutenu Adama Barrow, adversaire de M. Jammeh, parce qu’ils estimaient qu’il apporterait du changement. « Je sais juste que Barrow sera différent. Il nous écoute », a déclaré Haddy Ceesay, un électeur gambien de 25 ans, au Guardian.

Pourtant, le professeur Honwana pense que les médias sociaux représentent bien plus qu’une tendance passagère. « Pour les jeunes, tout se fera par les médias sociaux. Ils y passent leur vie », a-t-elle affirmé.

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