Master Soumy : « Il est temps que les artistes se prennent au sérieux au Mali »

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Dans cet entretien qu’il nous a accordé le rappeur évoque plusieurs sujets: ses débuts dans la musique, son rapport avec la politique, la pandémie de la covid-19. Réputé pour ses prises de positions tranchées et son engagement, l’’artiste concepteur de GALEDOU SYSTÈME se livre à battons rompus.

L’Essor: Qui est Master Soumy en réalité ?

Master Soumy: À l’état civil, je m’appelle Ismaila Doucouré. Je suis né en 1983 à Bamako, précisément à Sokorodji, un quartier périphérique de la Commune VI. J’ai grandi à Bamako où j’ai fait également mes études. Je suis attaché à ce quartier qui m’a vu grandir et c’est là où j’ai passé pratiquement toute ma vie. J’ai été élevé par mon grand père maternel qui est décédé il y’a trois ans (Paix à son âme).

Cela fait 3 ans que j’ai emménagé à Magnambougou où je vis présentement avec ma famille. Juriste de formation, je suis aujourd’hui un jeune artiste malien, musicien-rappeur. Je suis également auteur, compositeur, producteur et entrepreneur culturel. Co-initiateur du plus grand festival du Hip-hop au Mali (FEST Hip-hop Rapou DôgôKûn), je suis aussi co-promoteur de la structure (Mali-Space), que j’ai créée avec mon Manager, Dony Brasco pour mettre en place plusieurs initiatives et faire des prestations de services. Je suis également membres

L’’Essor: Pourquoi le choix du Rap comme style musical ?

M.S: Mon choix pour le Rap tire son essence de l’origine même de cette musique qui est née aux États-Unis dans les années 1970 dans les Ghettos black. Ces Ghetto Men (les habitants des quartiers pauvres essentiellement des noirs aux États-Unis), ont à un moment donné réfléchi et pensé à trouver d’autres moyens pour régler les problèmes.

Ce, en abandonnant les violences physiques caractérisées par des règlements de comptes, le banditisme, la criminalité et les agressions meurtrières quasi-quotidiennes. Donc depuis à la base, la mission fondamentale du Rap était de changer les choses. C’est à dire quitter le mauvais pour le bon. D’où mon choix pour cette musique afin de remplir la même mission pour les miens.

Aujourd’hui, on peut dire que les américains ont plus ou moins atteint leurs objectifs. En tant qu’artiste j’ai eu la chance de visiter ce pays. À travers mes tournées j’ai fait quelques États américains. Il y a une très grande différence entre Time Square et Dabanani de Bamako en termes de développement, se sont pas les mêmes réalités. Chez moi au Mali, imaginez qu’en 2020, je suis confronté à des problèmes d’eau, d’électricité des soucis de santé … J’ai donc opté pour le Rap afin de pouvoir dénoncer ces tares de ma société, éveiller des consciences et provoquer des réflexions positives.

L’’Essor: Ismaïla Doucouré vit-il de son art aujourd’hui ?

M.S: Oui je vis de la musique, même si c’est très difficile. Je n’ai pas d’autre boulot, je ne suis pas non plus fonctionnaire de l’État, encore moins propriétaire d’une boutique au grand marché. Rire…Tout ce que je gagne c’est dans mon domaine celui de la musique. Que ce soit mon journal râpé, le festival de Rap, mes albums. Aussi avec les entreprises qui utilisent mes chansons. L’une des plus grandes du pays, Orange Mali, utilise ma musique depuis plus de 10 ans. Donc j’ai des contrats ici comme à l’extérieur.

Je ne suis pas riche, mais je gère avec intelligence le peu que je gagne pour m’en sortir. Sinon c’est très difficile de vivre de la musique au Mali, où les artistes ne sont pas pris au sérieux. Pendant les élections, on utilise les artistes pour faire les campagnes et après ils sont oubliés. Il est temps que artistes maliens se réveillent.

Personnellement je n’ai jamais fait campagne pour un parti politique au Mali. Le ministère de la Culture avec un budget très minime qui n’est d’ailleurs utilisé que pour le fonctionnement des services rattachés au département. Le bureau malien des droits d’auteurs qui est censé être outillé pour réclamer nos droits au niveau des bars restaurants et boîtes de nuit, les radios et télévisions ou sur Internet, n’a aucun moyen de pression pour pouvoir récupérer le droit des artistes. C’est tout simplement la triste réalité.

L’’Essor : Certains fans pensent que vous êtes assez silencieux par rapport à l’enlèvement du chef de file de l’opposition, Soumaila Cissé. Ont-ils tort ?

M.S: Je ne saurai être silencieux sur une telle situation. Quand nous avons appris l’information, moi comme beaucoup d’ailleurs nous publions des photos de lui et je fais régulièrement des publications là-dessus sur ma page Facebook. Mieux, chaque fois que j’ai été invité sur les radios j’ai réclamé sa libération. Mais il faut que les gens comprennent aussi qu’une prise d’otage ne doit pas être traitée avec émotion. Il faut souvent prendre le temps de regarder l’évolution des choses. Ne serait ce que pour savoir ce que l’on va dire là-dessus. Sinon s’il s’’agit de dire « libérez Soumaila Cissé », ça je le fais plusieurs fois par jour.

Le plus grave c’est que jusqu’à présent le commun des Maliens ignore qui le détient. Je profite de votre créneau pour demander à toute personne qui le détient, de le libérer sans délai pour le bonheur de sa famille, ses proches, les militants de son parti et celui de tout le peuple malien. Je saisie également votre micro réclamer la libération de tous les autres otages au Mali et partout à travers le monde.

D’ailleurs, dans mon prochain journal râpé j’ai prévu d’en parler et le titre est déjà prêt. Je rappelle qu’on m’a toujours taxé d’être proche de l’opposition. Mais je l’assume. Je devrais d’’ailleurs aller prendre ma part dans l’’argent qui est versé au chef de file de l’’opposition (Rire…)

L’’Essor: Comment Master Soumy est venu dans la musique ?

MS: Au tout début, j’étais très bien dans les interprétations des chansons des rappeurs américains, français, certains sénégalais, ainsi que d’autres grand-frères maliens qui m’ont inspiré. C’était dans les années 1996-1997 quand je faisais la 7è année fondamentale, avec deux camarades de classe, tous motivés, nous avons créé à trois un groupe de Rap que nous appelé MEGA BEST. Parce qu’’à cette époque chacun essayait de prendre le nom d’un groupe américain. D’autres essayaient de chanter en anglais sans comprendre ce qu’ils disaient. Rire… Cela fait partie de l’histoire même du Rap malien.

C’est ainsi qu’à force d’interpréter, je me suis dit pourquoi ne pas écrire mes propres textes dans lesquels je parlerais de mes propres réalités et celles de mon quartier, de ma communauté et du Mali. Voilà un peu comment je suis venu dans la musique. Mais aussi, j’ai été beaucoup inspiré par la genèse même du Rap. Quand tu prends le Rap à la base, R.A.P qui veut dire par définition en anglais Rhythm And Poetry, autrement dit (le Rythme et la poésie en français). Et, le Rap est élément du Hip-Hop, qui a son tour forme un ensemble composé du ( le Rap, la Danse, le Djing et le Graffiti…). Il convient de souligner que le Rap a été la forme la plus répandue du Hip-Hop pour dénoncer les tares de la société, pour revendiquer et lutter contre certains phénomènes tels que le racisme, l’injustice, l’inégalité sociale, etc.

L’’Essor: Comment se porte la carrière de Master Soumy aujourd’hui?

MS : « Alhamdoulillaye » je peux dire Dieu merci par rapport à ce que j’ai fait du début de ma carrière jusqu’à maintenant. Aujourd’hui je suis à mon 6è album qui est en gestation mais le 5è pour le grand public malien après Tounkaranké en 2007, Sonsoribougou en 2009, Tamani d’Or, Saraka en 2011 et Gwelekan en 2016). J’ai produit un album qui n’est sorti officiellement au Mali pour des raisons de méthode de distribution. J’ai aussi fait énormément de collaborations avec plein d’artistes étrangers.

L’’Essor: Comment Master Soumy vit la pandémie de Covid-19 en tant qu’artiste?

MS: De nos jours, nous sommes dans une situation exceptionnelle. Nous traversons une crise sanitaire, un moment très difficile que personne n’aurait souhaité. Cette crise sanitaire touche pratiquement tous les secteurs d’activités. Mais, je pense que celui de la culture dans sa globalité (tourisme, musique, les arts…), est le plus secoué. Malgré cela, nous ne bénéficions pas d’accompagnement à la hauteur du problème. Contrairement à certains pays voisins comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, où les artistes ont été véritablement impliqués dans la lutte contre la pandémie.

Mais chez nous, les artistes sont considérés comme des misérables ou des mendiants. Il est temps que les artistes eux même se prennent au sérieux au Mali. Pour montrer à nos responsables que le métier qu’ils pratiquent est noble. C’est un boulot très dur qu’est de s’assoir avec un bic, une feuille ou un cahier, réfléchir pour écrire une chanson, aller payer le studio pour ceux qui n’ont pas leurs propres studios, enregistré, parfois payer des musiciens sur la musique, travailler sur cette chanson, la sortir, ensuite la publier sur les réseaux sociaux, les télés…

En tant qu’entrepreneur culturel, nous avons le festival de Rap qui devait se tenir du 23 au 29 mars dernier. Malheureusement après avoir calé nos dates, invités des artistes étrangers pour venir partager leurs expériences avec les rappeurs maliens. Nous avions largement investi dans la commercialisation à travers les médias. Quand la pandémie de la Covid-19 a éclaté partout, les autorités du pays ont entrepris des mesures interdisant toutes les activités culturelles. En bon républicains, nous avons respecté ces décisions. Puisqu’en tant qu’artistes nous sommes aussi des leaders d’opinions donc nous devons donner l’exemple.

Nous avons donc perdu énormément d’argent à cause de la crise sanitaire. A chaque fois que j’ai essayé de quantifier la perte avec mon Manager, Dony Brasco qui est le directeur du FEST Hip-hop, nous n’’avons jamais pu arrêter un chiffre exact. Finalement nous essayons de faire face à l’avenir. Comme nous, beaucoup d’autres acteurs culturels avaient aussi des dates. En ce qui me concerne, au-delà du FEST hip-Hop, en tant qu’artiste j’avais plus de 10 dates à l’extérieur avec un groupe partenaire qui est basé en Allemagne, entre février et mi-mai passé. Le plus important est que nous sommes en bonne santé et que nous n’’avons pas été testés positifs au virus. Rire… Nous prions Dieu que les choses rentrent rapidement dans l’’ordre pour que nous puissions reprendre normalement nos activités.

L’Essor: Quels sont vos projets à court et moyen termes ?

MS: Je suis présentement concentré sur mon prochain album, mais qui ne sortira pas cette année. Je compte le sortir en 2021 en respect à mon planning de travail. Cela me permettra non seulement de bien travailler là-dessus, mais aussi de rassembler tous les supports de communication nécessaires, faire des clips et de mieux apprécier les offres par rapport à la vente en ligne. C’’est ce travail très minutieux que je suis entrain de faire avec mon Manager. Au-delà, il y’a notre festival du Rap qui été reporté.

Nous attendons le communiqué officiel des autorités en temps opportun pour pouvoir donner la nouvelle date du festival. Nous travaillons avec des partenaires qui ont compris la situation et qui restent disposés à nous accompagner. A côté de tout ceci, nous sommes en train de voir comment étendre le concours à l’intérieur du pays dans les régions. Pour cela, nous organisons aussi des ateliers de formation en écriture musicale pour les jeunes rappeurs. C’est une autre manière pour nous de contribuer à l’évolution du mouvement Hip-Hop malien. Parce que le Rap est la musique la plus écoutée aujourd’hui au Mali.

Entretien réalisé par
Aboubacar TRAORÉ/L’ESSOR

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