Effets à long terme des contraceptifs : rumeurs, peur et vérité scientifique
Effets à long terme des contraceptifs : rumeurs, peur et vérité scientifique
Awa, 28 ans, mère de trois enfants, a longtemps hésité avant de se rendre au centre de santé de son quartier pour se faire insérer un implant contraceptif. Dans son entourage, les rumeurs circulaient : « ça rend stérile », « ça donne le cancer », « ça fait grossir ». « J’avais peur. Mais après avoir eu des échanges avec la sage femme, j’ai compris que beaucoup de choses qu’on racontait n’étaient pas vraies », confie-t-elle.
Comme Awa, des milliers de femmes au Mali et en Afrique de l’Ouest sont confrontées aux rumeurs persistantes sur les méthodes contraceptives de longue durée notamment les implants, les dispositifs intra-utérins (DIU) et les injectables. Pourtant, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ces méthodes figurent parmi les plus efficaces pour prévenir les grossesses non désirées, avec un taux d’efficacité supérieur à 99 %.
Les chiffres d’une réalité complexe
La Septième Enquête Démographique et de Santé (EDSM-VII, 2023–2024) révèle qu’au Mali, 25 % des femmes actuellement en union présentent des besoins non satisfaits en matière de planification familiale. En comparaison, 22 % utilisent une méthode contraceptive, soit l’équivalent des besoins satisfaits.
L’analyse selon l’âge montre que les besoins non satisfaits sont les plus élevés chez les femmes de 35 à 44 ans (29 %), et les plus faibles chez les adolescentes de 15 à 19 ans (21 %).
Des disparités apparaissent également selon le milieu de résidence et le statut socio-économique : 26 % en milieu rural contre 21 % en milieu urbain ; 27 % chez les femmes sans instruction et dans le quintile économique le plus bas.
À l’échelle régionale, la proportion varie de 30 % à Ségou et 18 % à Tombouctou. Concernant les femmes non en union mais sexuellement actives, le contraste est encore plus marqué : 49 % présentent des besoins non satisfaits, tandis que 41 % utilisent une méthode contraceptive, portant la demande totale à 90 %.
Selon l’UNFPA (2024), près de 27 % des besoins en planification familiale au Mali restent insatisfaits, un déficit qui alimente les grossesses précoces et les avortements à risque. En Afrique de l’Ouest, le rapport DHS (2022) souligne que seulement 18 % des femmes en âge de procréer utilisent une méthode moderne, preuve que les croyances pèsent lourd dans la sous-utilisation des services.
La parole aux spécialistes
« Beaucoup de patientes refusent l’implant ou le DIU parce qu’elles craignent des effets irréversibles sur la fertilité ou le risque de cancer. Ce sont des idées fausses, mais elles sont profondément ancrées », explique Dr Mariam Diallo, gynécologue-obstétricienne au CHU Gabriel Touré.
Même constat du côté des sages-femmes. « Lors de nos séances de sensibilisation, les femmes nous interrogent souvent sur la sécurité et la réversibilité des implants. Nous expliquons que la fertilité revient immédiatement après le retrait », témoigne Fanta Traoré, sage-femme au CSCom de Lafiabougou.
Pour Dr Ousmane Konaté, chercheur en santé publique à l’Université des Sciences Sociales et de Gestion de Bamako, « la peur des effets secondaires constitue l’un des principaux obstacles à l’utilisation des méthodes de longue durée au Mali ».
Un avis partagé par le sociologue Moussa Diarra, enseignant-chercheur à l’Université de Bamako, qui analyse les racines sociales de ces résistances : « Les rumeurs autour des contraceptifs ne sont pas seulement des malentendus médicaux. Elles reflètent aussi des rapports de pouvoir, des normes culturelles et religieuses qui influencent la perception du corps de la femme. Dans beaucoup de familles, décider d’utiliser une méthode contraceptive revient à défier des traditions. Il faut donc comprendre ces croyances comme des faits sociaux ancrés, pas simplement comme une ignorance scientifique. »
Cependant, l’ONASR en première ligne contre les rumeurs.
Au Mali, l’Office National de la Santé de la Reproduction (ONASR) joue un rôle central dans la lutte contre la désinformation.
Sané Ndiaye spécialiste en communication sur la santé de la reproduction à l’ONASR, rappelle que l’institution s’est donnée pour mission de combattre les rumeurs et les fausses informations qui freinent l’accès aux services. « Les rumeurs constituent l’un des obstacles majeurs. Elles créent la méfiance et détournent les femmes et les jeunes des services dont ils ont pourtant besoin », explique-t-elle.
Pour y faire face, l’ONASR mise sur une communication inclusive et de proximité : campagnes via les médias traditionnels, relais communautaires, plateformes animées par les jeunes, et partenariats avec les associations locales.
Entre peur et liberté de choix !
Parmi les rumeurs les plus répandues : stérilité définitive, cancer, prise ou perte de poids, ou encore saignements irréguliers. « Les effets secondaires existent, mais ils sont temporaires et bien documentés », précise Dr Diallo.
Pour Awa, qui a finalement opté pour l’implant, le bilan est positif : « Aujourd’hui, je vis mieux. Je peux m’occuper de mes enfants sans peur d’une nouvelle grossesse. Si j’avais écouté les rumeurs, ma vie serait différente. »
Au-delà des peurs et des croyances, le défi reste le même : garantir à chaque femme le droit de choisir librement sa méthode contraceptive, sur la base d’une information fiable, scientifique et accessible.
Tidiane Bamadio