L’ARMÉE FRANÇAISE VEND LES AVIONS PÉRIMÉS EN AFRIQUE. LA COUR DES COMPTE EST FORMELLE

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L’ARMÉE FRANÇAISE VEND LES AVIONS PÉRIMÉS EN AFRIQUE

Dans un rapport présenté mardi 12 mars à la commission des Finances de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes met en évidence de nombreuses “anomalies” sur des contrats de transport aérien passés par les armées en Afrique. Le document, ultra-technique et donc peu accessible au béotien, dresse un portrait assez affligeant des pratiques d’achats des armées et des offres des sociétés retenues : licences d’exploitations d’avions périmées ou absentes, entraves à l’égalité de traitement entre candidats, “suivi peu rigoureux” de contrats, “risques de sécurité graves” sur des hélicoptères russes Mi-8 affrétés, et même “menaces et tentatives d’intimidation” sur les militaires en charge des achats de ces prestations.

Les critiques se concentrent sur les contrats d’affrètement “intra-théâtre”, c’est-à-dire le transport de troupes et de fret de l’opération Barkhane au sein de l’immense zone d’action des militaires français en bande sahélo-saharienne. Ces marchés, assez modestes en taille (70 millions d’euros sur la période 2015-2017), sont trustés par quelques spécialistes : le courtier ICS, déjà au cœur d’une enquête du parquet national financier (PNF) sur des soupçons de trafic d’influence dans des contrats de transport stratégique ; le canadien Lavalin ; ou encore les français Daher et Dynami. Ces acteurs surfent sur le manque d’appareils disponibles dans les flottes de l’armée, du fait des retards de l’A400M et des faibles taux de disponibilité des avions militaires français. Les armées les apprécient aussi pour leur flexibilité et leur coût : les appareils de conception soviétique proposés reviennent souvent bien moins cher à l’heure de vol que les aéronefs des armées.

Le problème, c’est que la lutte commerciale entre ces prestataires s’apparente à un Far West où tous les coups sont permis. La Cour déplore ainsi “un climat délétère” entre les candidats. Elle évoque même, en s’appuyant sur des témoignages de militaires, “des menaces et tentatives d’intimidation sur les personnes en charge des marchés” au sein de la force Barkhane. Des accusations extrêmement graves sur lesquelles les sages de la rue Cambon ne donnent, étonnamment, aucun détail. “Vu leur gravité, elles pourraient pourtant donner lieu à des enquêtes internes au ministère, voire à des plaintes en bonne et due forme”, estime un familier du dossier.

La Cour des comptes est plus diserte sur les “anomalies” constatées dans la gestion des contrats d’affrètement. Le rapport cite l’exemple d’un contrat passé en décembre 2014 avec Daher pour la mise à disposition d’un Antonov An-32. L’armée a été incapable de fournir tous les documents obligatoires au sujet de cet appareil détenu par un groupe émirati et exploité par une compagnie aérienne arménienne. L’attestation d’assurance de l’appareil ne couvrait qu’une partie de la durée du contrat, déplore ainsi la Cour. Pire, “aucune copie authentique des licences d’exploitation et des déclarations des membres d’équipages s’engageant à préserver le secret des informations sur les opérations menées, n’a été communiquée”, souligne le rapport.

La Cour critique aussi vivement certains marchés passés par les forces spéciales. Elle cite notamment un marché de transport de passagers et de matières dangereuses passé par la task force Sabre, l’unité des forces spéciales françaises déployée au Sahel. Selon le rapport, les documents fournis par le candidat retenu “n’ont pas été vérifiés avec suffisamment de rigueur”. Le certificat de transporteur aérien “ne permet pas à la compagnie d’opérer dans tous les pays de la zone, ni de transporter des matières dangereuses”, souligne la Cour. Quant au certificat d’assurance, il était périmé et ne couvrait pas toute la zone !

Le rapport étrille également un contrat d’affrètement d’hélicoptères russes Mi-8 passé en septembre 2017. D’une part, certains bons de commandes intègrent des mentions erronées sur le prix à l’heure de vol et les temps de trajet estimés. Plus grave, à la suite d’un audit de sécurité, l’un des Mi-8 utilisés s’est révélé présenter “un risque de sécurité grave”, au point de ne plus être autorisé à transporter des passagers.

Le rapport s’interroge d’ailleurs sur le bilan sécuritaire de l’externalisation du transport de passagers. Le bilan est éloquent : un bimoteur affrété par Barkhane a dû effectuer un atterrissage d’urgence le 7 septembre 2018, sans faire de victime. Quelque temps auparavant, un incident sur un avion de même type avait fait un blessé “à la suite du bris d’une pale d’hélice qui avait perforé la carlingue”. Un Antonov An-26, également affrété pour Barkhane, s’était même écrasé à Abidjan le 14 octobre 2017, causant quatre morts parmi l’équipage moldave et faisant quatre blessés français.

Comment remettre au carré cette gestion de contrats pour le moins baroque ? La Cour des comptes recommande une meilleure formation des acheteurs des armées, et une amélioration des contrôles internes sur les appels d’offres et les contrats. Elle appelle aussi à une meilleure vérification des “aptitudes des aéronefs et de leurs équipages” par les acheteurs et l’état-major des armées. A lire le rapport, la tâche s’annonce ardue.

Source: Challenges.fr

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