Corruption au Mali : plus d’un demi-milliard de francs CFA détourné dans le secteur médical
La gestion du Centre Hospitalier Universitaire du Point G au titre des exercices 2018, 2019, 2020 et 2021 (30 juin) a été passée au tamis par le Bureau du vérificateur général, notamment pour s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de recettes et de dépenses. Mises à part les irrégularités administratives qui ont fait l’objet de recommandations du Bureau du vérificateur général, des irrégularités financières ont été constatées et dont le montant total s’élève à 764 906 904 FCFA. Comme d’habitude, les faits incriminés ont été dénoncés devant la justice.
Les travaux de vérification ont porté sur la mobilisation de la subvention de l’Etat, la collecte des recettes propres et l’exécution des dépenses.
Rappelons, comme l’a si bien fait le Vérificateur général dans son rapport, que l’Hôpital du Point G existe depuis 1906 et s’est constitué à partir d’un hôpital militaire issu de la période coloniale. 7. Il a été érigé en Etablissement Public à caractère Administratif (EPA), doté de la personnalité morale et de l’autonomie de gestion par la Loi n°92-023 du 05 octobre 1992.
En 2003, la Loi n°03-021 du 14 juillet a créé l’Hôpital du Point G comme Etablissement Public Hospitalier doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Il est placé sous la tutelle du Ministre chargé de la Santé. Il est institué en Centre Hospitalier Universitaire du Point G à la suite de l’Arrêté interministériel n°06-3175/MS-SG du 29 décembre 2009 portant approbation de la convention hospitalo-universitaire conclude entre l’hôpital du Point G et l’Université de Bamako. Aux termes de la loi précitée, l’Hôpital du Point G a pour mission de participer à la mise en œuvre de la politique nationale de santé. A cet effet, il est chargé de : assurer le diagnostic, le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes ; prendre en charge les urgences et les cas référés ; assurer la formation initiale et la formation continue des professionnels de la Santé ; conduire des travaux de recherche dans le domaine médical.
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Les ressources de l’Hôpital du Point G sont constituées par : les revenus provenant des prestations de service ; les contributions de l’Etat ; les dons et legs ; l’aide extérieure ; les recettes diverses. L’Hôpital du Point G est dirigé par un directeur général nommé par décret pris en Conseil des ministres sur proposition du ministre chargé de la Santé après avis du Conseil d’Administration. Il assure la gestion et la conduite générale de l’établissement et en tient le Conseil d’Administration informé. Le Directeur Général est assisté d’un Adjoint qui le remplace en cas de vacance, d’absence ou d’empêchement. Le directeur adjoint est nommé par arrêté du ministre chargé de la Santé, sur proposition du Directeur Général.
IRRÉGULARITÉS
ADMINISTRATIVES
L’équipe de verification a constaté les irrégularités administratives que voici: le Conseil d’Administration du CHU du Point G ne tient pas des sessions ordinaires réglementaires; le CHU du Point G utilise un manuel de procédures administratives, comptables et financières non validé; le CHU du Point G ne dispose pas d’un projet d’établissement.
A ce niveau il faut comprendre que l’article 42 de la Loi n°02-050 du 22 juillet 2002 portant loi hospitalière dispose : “Le projet d’établissement définit les objectifs de l’établissement dans le domaine médical, des soins infirmiers et obstétricaux, de l’accueil des malades et de leur famille, de la politique sociale, de la gestion, du système d’information, de l’hygiène et de la sécurité, de la formation et de la recherché”.
L’article 44 de la même loi dispose : “Le projet d’établissement est établi pour une durée de cinq ans. Il est préparé par la Direction générale en collaboration avec la Commission médicale d’établissement et les autres organes consultatifs. Le projet d’établissement est voté par le conseil d’administration et approuvé par l’autorité de tutelle. Il peut être révisé avant terme, à la demande du Ministre chargé de la santé”.
Afin de s’assurer du respect des dispositions ci-dessus, l’équipe de vérification a procédé à une revue documentaire et à des entrevues. Elle a également demandé, par mémo n°004 du 9 novembre 2021, le projet d’établissement du CHU du Point G qui couvre la période 2020-2024 pour examen.
A l’issue des travaux, l’équipe de vérification a constaté que le CHU du Point G ne dispose pas d’un projet d’établissement. En effet, depuis l’expiration du projet d’établissement qui couvre la période 2015-2019, la Direction Générale CHU du Point G n’a pas élaboré le projet d’établissement pour la période 2020-2024. L’absence de projet d’établissement ne permet pas de mesurer l’efficacité du CHU du Point G.
Autres irrégularités administratives constatées: La Direction Générale du CHU du Point G a créé des commissions de réception irrégulières: Afin de s’assurer de la régularité de la création des commissions de réception des marchés passés par le CHU du Point G au cours de la période sous revue, l’équipe de vérification a examiné les decisions de mise en place des commissions et les procès-verbaux de réceptiondes marchés. Elle s’est également entretenue avec le Chef du service administratif et financier. Au terme des travaux, l’équipe de vérification a constaté que le directeur général du CHU du Point G a créé des commissions de réception irrégulières. En effet, Il n’a pas mentionné la DGMP sur dix (10) decisions portant création de la commission de réception des marchés passés. La création de commissions de réception irrégulières ne permet pas de s’assurer de la livraison effective des fournitures et l’exécution conforme des ouvrages et des prestations.
Par ailleurs, le Chef du Service des ressources humaines n’a pas mis à jour des dossiers du personnel; la Direction Générale et le Service administratif et financier du CHU du Point G ne respectent pas la nomenclature budgétaire.
En outre, la Direction Générale du CHU du Point G n’élabore pas le budget de la pharmacie hospitalière et la Direction Générale du Point G ne respecte pas la procédure de la demande de cotation. En plus, La Commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres du CHU du Point G ne respecte pas la procédure de la Demande de Renseignement et de Prix à compétition restreinte.
Il faut ajouter à tout cela que le Comptable-matières ne tient pas tous les documents de la comptabilité-matières. En plus, il n’a pas codifié et immatriculé des matériels. De son côté, la Direction Générale du CHU du Point G a admis des patients sans billet d’hospitalisation. Quant au Régisseur de recettes, il ne respecte pas le seuil des disponibilités: L’article 7 de l’Arrêté n°2018-2562/MEF-SG du 18 juillet 2018 portant institution d’une régie de recettes auprès du Centre hospitalier universitaire du Point G dispose : “Le montant maximum des disponibilités du régisseur est fixé à 2 000 000 de F CFA”.
Afin de s’assurer du respect de cette disposition, l’équipe de vérification a procédé à l’analyse des reversements effectués par les guichetiers au régisseur et des différents versements à la banque. Elle a constaté que le Régisseur de recettes ne respecte pas le seuil des disponibilités. En effet, il ne verse pas systématiquement les recettes à la banque et les montants en sa possession dépassent souvent le maximum des disponibilités admis. A titre illustratif, le montant total de 3 297 215 Fcfa encaissé le 22 janvier 2020 a été réparti en plusieurs bordereaux de versement en vue de respecter le seuil maximum de disponibilité de 2 000 000 Fcfa. Il en est de même du montant de 3 552 460 Fcfa du 22 juin 2021 et du montant de 5 103 830 Fcfa du 29 juin 2021.
Le non-respect du montant maximum des disponibilités expose le CHU du Point G à un risque de détournement de ses recettes. S’y ajoute que l’Agent Comptable du CHU du Point G ne tient pas des documents de la comptabilité générale et ne fait pas un suivi régulier des recettes. En outre, les Guichetiers et le Régisseur de recettes n’ont pas justifié l’écart entre le Hospital Managment System et les quittances; la Commission de réception du CHU du Point G ne s’assure pas de l’effectivité de la fourniture des repas aux malades indigents.
IRRÉGULARITÉS FINANCIÈRES
Le Chef du Service de la néphrologie du CHU du Point G n’a pas justifié l’utilisation des consommables de dialyse: l’équipe de verification a examiné les dossiers des marchés d’acquisition des consommables de dialyse et a demandé la situation de leurs mouvements et utilisations. Elle s’est entretenue avec les acteurs de passation et d’exécution desdits marchés et les responsables des services d’hémodialyse. Elle a constaté que le Chef du Service de néphrologie n’a pas pu justifier l’utilisation de 10 999 séances de dialyse correspondant à un écart entre le nombre de kits et solutions mis à sa disposition par le service de la pharmacie et le nombre de kits et solutions utilisés lors des séances de dialyse effectivement réalisées et communiquées par lui-même à l’équipe de vérification. Sur la base des devis des marchés de la période sous revue, le montant de cet écart non justifié est de 377 449 430 Fcfa. De plus, elle a constaté que le montant de 3 610 987 910 Fcfa des trois marchés de kits et de solutions de dialyse passés au cours de la période sous revue a été intégralement payé alors qu’un stock de 84 756 consommables de dialyse était disponible chez le fournisseur à la date du 16 septembre 2021 en violation des principes des marchés à commande qui s’exécutent au fur et à mesure des expressions de besoins et de l’émission des bons de commande. La valeur monétaire du stock disponible chez le fournisseur est de 194 314 660 Fcfa. Le montant total des irrégularités sur les consommables de dialyse s’élève alors à 571 764 090 Fcfa.
L’Agent Comptable n’a pas reversé la part des produits issus de la vente des dossiers d’Appel d’Offres destinée à l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et de Délégations de Service Public: Le montant total de la part des produits issus de la vente des DAO destinée à l’Autorité de Régulation est de 270 000 FCFA. Le Contrôleur financier a visé les pièces d’engagement et de paiement des marchés sans vérifier les prix par rapport à la mercuriale en vigueur: Le montant total des écarts des prix des fournisseurs par rapport aux mercuriales de la période sous revue s’élève à 9 691 500 Fcfa.
La Commission de réception a élaboré des procès-verbaux sans constater la quantité des repas livrés au personnel de garde du CHU du Point G: Elle a constaté que la Commission de réception du CHU du Point G a élaboré des procès-verbaux sans les supports justifiant la quantité des repas livrés au personnel de garde du CHU du Point G. En effet, elle n’a pas pu mettre à la disposition de l’équipe de vérification le nombre de plats livrés au personnel de garde sur la base duquel les procès-verbaux (PV) de réception ont été établis. De plus, les quantités de plats consignées sur les PV ne correspondent pas au nombre de jour homme de garde. Ainsi, au cours de la période sous revue, l’écart total entre le nombre de plats payé et celui correspondant au nombre de jour homme de garde s’élève à 304 185 plats, soit 118 263 en 2018, 77 922 en 2019 et 108 000 en 2020. Le montant total équivalant à cet écart s’élève à 115 291 278 Fcfa.
Le Surveillant Général a irrégulièrement utilisé le carburant mis à sa disposition: L’équipe de vérification a constaté que le Surveillant Général a donné, sur la dotation mise à sa disposition pour les besoins des ambulances, du carburant à l’attributaire du marché relatif à l’évacuation des ordures à partir des cartes d’approvisionnement des ambulances du CHU du Point G. Or, le contrat de ce fournisseur ne contient aucune clause relative à la prise en charge de la dotation de ses véhicules en carburant par le CHU du Point G. Le montant de la dotation irrégulière en carburant du prestataire chargé de l’évacuation des ordures s’élève à 254 350 Fcfa.
Le directeur général du CHU du Point G a ordonné le paiement d’indemnités indues: l’équipe de vérification a examiné les procès-verbaux des sessions du Conseil d’Administration et les pièces justificatives des paiements des jetons de présence.
Elle a constaté que le directeur général du CHU du Point G a ordonné le paiement d’indemnités indues à son personnel participant aux sessions du Conseil d’Administration. En effet, au cours des 41ème, 42ème et 43ème sessions du Conseil d’Administration, il a octroyé des indemnités de 100 000 Fcfa par participant non administrateur au lieu de l’indemnité de 75 000 Fcfa autorisée. En somme, 16 participants non administrateurs ont bénéficié de ces indemnités pendant les 41ème et 42ème session du Conseil Administration et 19 participants durant la 43ème session. Le montant total des indemnités indues s’élève à 1 275 000 Fcfa.
Le directeur général a procédé à des fractionnements de dépenses: Elle a constaté que le Directeur Général du CHU du Point G a proceed à un fractionnement de dépenses. En effet, il a autorisé, sur la régie d’avances, six achats séquentiels de consommables informatiques en mars et en avril 2018 pour un montant cumulé de 979 400 FCFA afin d’éviter un marché par demande de cotation qui nécessite au moins la sollicitation de trois fournisseurs.
L’Agent Comptable du CHU du Point G n’a ni déclaré ni payé des cotisations fiscales et sociales: l’Agent Comptable n’a ni déclaré ni payé l’ITS, les taxes de logement et les cotisations sociales sur des rémunérations de 2018. En effet, l’Agent Comptable n’a pas déclaré et n’a pas payé sept mois de cotisations fiscales et huit mois de cotisations sociales au cours de 2018. Le montant des déclarations à payer s’élève à 38 109 903 Fcfa. Des chefs de service n’ont pas justifié l’absence de matériels mis à leur disposition: Le montant total des matériels manquants au cours du contrôle d’effectivité de l’équipe de vérification s’élève à 3 087 177 Fcfa.
Les Guichetiers et le Régisseur de recettes ont procédé à des annulations irrégulières des recettes hospitalières du CHU du Point G: Les Guichetiers et le Régisseur de recettes ont procédé à des annulations irrégulières des recettes hospitalières du CHU du Point G. En effet, sur la période sous revue, les Guichetiers et le Régisseur de recettes ont annulé des recettes sans émission d’ordre d’annulation par l’ordonnateur. La pratique consiste à annuler des quittances émises contre remboursement des montants encaissés par le régisseur et le Guichetier. Le montant total des recettes annulées Durant la période sous revue s’élève à 25 163 606 Fcfa.
DENONCIATIONS DEVANT LA JUSTICE
Comme d’habitude, le Vérificateur général a dénoncé les faits constatés devant la justice, notamment auprès du Procureur de la République en charge du Pôle économique et financier de Bamako et aussi auprès de la Section des comptes de la Cour supreme. Amadou Bamba NIANG