Mali: 17 représentants de l’Etat tués depuis 1990. Le syndicaliste Ousmane Christian Diarra dit « tout » (déclaration intégrale)
Face aux propos jugés « méprisants et moralisateurs » du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Boubacar Alpha Bah, les Comités Exécutifs nationaux du Syndicat Autonome Des Administrateurs Civils (Synac) et du Syndicat Libre Des Travailleurs Du Ministère De l’administration Territoriale (Syltmat) ont animé une conférence de presse, le samedi 22 juin, à la Bourse du Travail. Djeliba24 vous propose l’intégral de la déclaration liminaire lue par Ousmane Christian Diarra, Secrétaire général du Synac.
DECLARATION LIMINAIRE DES COMITES EXECUTIFS NATIONAUX:
Du Syndicat Autonome Des Administrateurs Civils (Synac)
Et
Du Syndicat Libre Des Travailleurs Du Ministère De l’administration Territoriale (Syltmat)
Bonjour, mesdames et messieurs des médias, chers invités !
Camarades membres des Comités exécutifs nationaux du SYNAC et du SYLTMAT
Camarades militants du SYNAC et du SYLTMAT,
Bonjour à vous tous qui avez fait le déplacement à l’invitation de nos syndicats !
Mesdames et messieurs, chers amis
Le point de presse qui nous réunit, a pour objet d’informer l’opinion publique nationale et internationale sur la réalité de la situation sécuritaire des représentants de l’Etat sur l’ensemble du territoire national en général, et surtout de ceux de la Région de Mopti en particulier, et de faire une mise au point suite au communiqué du 19 juin 2019 et à l’interview du ministre de l’Administration territoriale en date du 20 juin 2019 en réaction à notre communiqué conjoint du 17 juin 2019.
En effet, depuis l’éclatement de la crise multiforme en 2012 dans notre pays, les représentants de l’Etat (Gouverneurs de Région, membres des Cabinets des gouverneurs, préfets, préfets-adjoints et sous-préfets) ont payé un lourd tribut : des morts, des pertes et destructions de biens de toute une vie, des séquelles physiques indélébiles !
Les représentants de l’Etat sont le deuxième contingent en termes de pertes en vies humaines après les forces armées et de défense. De 1990 à nos jours, au total, 17 représentants de l’Etat, sans les épouses et les enfants, ont été tués du fait des différentes rébellions et des assassinats ciblés.
Les cas d’assassinats liés à la crise de 2012 sont au nombre de sept (7).
Mesdames et messieurs,
Comme nous, vous avez suivi le communiqué et l’interview du ministre en charge de l’Administration territoriale, invitant, hymne national en main, au patriotisme les administrateurs civils en général et les représentants de l’Etat en particulier.
Comme tout le monde, les CEN SYNAC et SYLTMAT ont noté, mais sans surprise, qu’au lieu de s’engager résolument à assumer pleinement leur rôle régalien de protection et de sécurisation de leurs représentants, les responsables du département de l’Administration territoriale, ont opté plutôt d’emprunter la voie facile de la menace et de chercher à faire vibrer la fibre patriotique de l’opinion publique, qui du reste, est fatiguée de compter et pleurer les morts par manque de précautions prises !
Le communiqué comme l’interview, que nous considérons tous deux comme des appels au suicide, car n’offrant aucune garantie de sécurité à part les habituelles annonces sans suites ni effets, soulignent avec force le rôle de « Capitaine à quitter le dernier le navire en perdition ».
Cet appel au sacrifice ultime qui est aujourd’hui le quotidien de beaucoup de nos compatriotes et auquel peu de donneurs de leçons s’engageraient résolument, prouve que les autorités ne disposent d’aucune solution pour assurer à leurs représentants les conditions minimales nécessaires leur permettant de jouer pleinement leur rôle de coordination de l’action publique au niveau des circonscriptions administratives.
Ils appellent à être le capitaine qui quitte le dernier en entonnant l’hymne national alors qu’ils ont retiré aux représentants de l’Etat leurs armes individuelles de protection depuis les événements de 2012 !
Ils appellent à être le capitaine qui quitte le dernier, hymne national brandit, alors qu’au moment de la « distribution » de médailles ils ne les trouvent pas si méritants pour être décorés (exceptés les gouverneurs, moins dix représentants de l’Etat sont décorés sur toute l’étendue du territoire !)
A ces appels au suicide, le SYNAC et le SYLTMAT répondent simplement mais avec fierté et dignité que les représentants de l’Etat, de par leurs carrières et leurs parcours faits de sacrifices, d’abnégation, de don de soi, de défense de l’intérêt général, de méconnaissance absolue de luxe et de confort dans leur vie quotidienne, n’ont de leçons de patriotisme à recevoir d’aucune autorité de ce pays.
Les faits parlent d’eux-mêmes !
Les Administrateurs civils et représentants de l’Etat du Mali sont les plus mal logés, les moins bien traités en termes de salaires, de moyens de déplacement, de gestion de carrières et les plus méprisés dans la sous-région !
Malgré cette triste réalité, les CEN SYNAC et SYLTMAT n’ont pas hésité à sursoir à l’obtention de primes et indemnités, en levant leur mot d’ordre de grève en position de force, pour éviter un blocage des institutions par la non tenue de l’élection présidentielle ! Peu de corporations, peu de cadres administratifs et politiques dans notre pays auraient laissé « échapper » une telle opportunité à un tel moment de situation défavorable à l’Etat. L’Histoire récente du Mali nous conforte cette vérité !
Venons-en aux raisons qui ont amené les deux syndicats à demander le repli des représentants de l’Etat sur la ville de Mopti ou toutes autres localités plus sécurisées en attendant, comme annoncé, le désarmement des milices communautaires.
Le contexte sécuritaire des représentants de l’Etat de 2018 au 15 juin 2019
La rébellion déclenchée par les apatrides traîtres et criminels du MNLA en 2012 a entraîné un phénomène d’insécurité sans précédent dans notre pays. Elle s’est installée avec persistance dans la 5ème région et comme une métastase, se répand sur le reste du pays.
Après la grande insécurité avec armes de guerre, les représentants de l’Etat sont de plus en plus exposés à la nuisance du développement du communautarisme exacerbé par les notabilités locales, les ressortissants résidant à Bamako, à l’agressivité des associations de jeunes instrumentalisés par le manque de perspective d’avenir, à la montée en puissance des religieux et surtout au manque de culture institutionnelle et administrative de certains hommes politiques prompts à sacrifier les intérêts locaux ou personnels aux détriments de l’intérêt général.
Face à ces nouvelles donnes, les syndicats ont tiré la sonnette d’alarme et réclamé plus de protection en faveur des représentants de l’Etat qui sont des cibles privilégiés dans un pays en pleine anarchie où l’autorité est très mal perçue par la plupart des citoyens. Car au moindre mécontentement contre l’Etat ou tout autre service, les foules furieuses prennent en cibles les représentants de l’Etat, d’où la multiplication des cas de tentatives de lynchage, de saccages et de vandalisme des bureaux et logements ces derniers mois : Kani-Bonzon, Kéniéba, Diré, Sangha.
A cette nouvelle forme d’insécurité se sont ajoutés l’assassinat ciblé, les attaques ciblées, les menaces annoncées et exécutées. A titre d’exemple, le 3 mai 2019, le sous-préfet de Boura, dans le Cercle de Yorosso, reçut un message SMS de menace de personnes se réclamant d’Al Qaïda. Comme promis, la menace fut exécutée le 15 mai sans qu’aucune disposition adéquaté ne soit prise.
Lire aussi – Mali: Communiqué du Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation aux administrateurs civils
A Bandiagara, il n’est un secret pour personne que tous ceux qui reçurent un avertissement, à partir des listes dressées par les différentes milices, ont été froidement abattus s’ils n’ont pas fui la ville. L’exemple le plus notable est celui du président local des commerçants, égorgé en plein marché au vu et au su de tous, le 11 juin 2019 !
Le sous-préfet de Tilemsi, dans le Cercle de Goundam, reçut le 11 juin 2019 des menaces de mort d’une personne ayant poussé l’audace jusqu’à donner son nom avec un contact non dissimulé et lui rappelant un premier appel de menace de mort en date du 23août 2017.
Le 15 juin 2019, le premier adjoint de Bandiagara recevait à son tour des menaces précises contre sa personne et celle de sa famille, par appel téléphonique puis par SMS.
C’est dans ce contexte d’un nouveau mode opératoire d’assassinat ciblé et annoncé à l’avance, que les deux CEN ont demandé le repli de leurs militants, en attendant le désarmement promis par les plus hautes autorités.
Les démarches entreprises auprès des autorités pour demander la sécurisation des représentants de l’Etat
Depuis la création des deux syndicats en l’an 2000, les cinq préavis de grève déposés, la manifestation pacifique du 18 juin 2018 ayant abouti à la remise d’un mémorandum ainsi que la grève de 10 jours observée du 25 juin au 04 juillet 2018 avaient tous comme points communs la demande de sécurisation des représentants de l’Etat dans l’exercice de leur fonction.
Pour rappel, suite à la recrudescence des menaces et agressions contre les représentants de l’Etat, sans réaction appropriée des autorités nationales, le SYNAC et le SYLTMAT avaient fait appel aux représentants de l’Etat, le 18 juin 2018, pour remettre un mémorandum demandant au gouvernement la sécurisation de ses représentants, suite à l’assassinat en son domicile du Sous-préfet de Ouinerden le 18 mars 2018, à l’enlèvement du préfet de Ténenkoun le 08 mai 2018, à l’agression suivie d’incendies des logements et bureaux du préfet, du premier adjoint au préfet de Kéniéba et du sous-préfet de Kani-Bonzon le 11 juin 2018.
Un an après cette manifestation pacifique, aucune mesure particulière n’a été prise. A la date d’aujourd’hui, aucun représentant de l’Etat, hormis les gouverneurs de Région, ne disposent d’une protection adéquate au bureau et à domicile. Aucun sous-préfet (environ 300) dans le pays ne dispose d’un agent de sécurité rapproché.
La seule suite à toutes les démarches entreprises par les syndicats auprès des autorités, jusque-là été le silence et le maintien du statu-quo alors que la situation se dégrade de jour en jour.
Quelques cas d’agression récents uniquement dans la région de Mopti:
Cercle de Bankass
- Le 12 septembre 2015, le sous-préfet de Ouenkoro a été agressé à son domicile par des manifestants. Bilan : 2 véhicules brûlés dont son véhicule personnel et un de l’Inspection de l’intérieur en mission.
- Le 11 juin 2018, le sous-préfet de Kani-Bonzon a vu son domicile attaqué par des assaillants à motos. Bilan : domicile et véhicule personnel incendiés, vol de la somme de 2. 750 000 FCFA, épouse et enfants violentés.
- Le 17 décembre 2018, agression du préfet lors d’une manifestation de la population réclamant la libération de trois (3) présumés assassins dans la cour de la Brigade de Gendarmerie.
- Le 23 mars 2019, après des menaces verbales, des inconnus s’introduisirent nuitamment dans le domicile du sous-préfet Central et brulèrent son hangar.
Cercle de Koro
- Le 02 avril 2018, sous la houlette de politiciens locaux, la jeunesse instrumentalisée de Koro organisa une marche pour réclamer le départ du préfet et de tous les sous-préfets.
- Le 07 avril 2018, le bureau du préfet fut violé par des jeunes le menaçant à quitter la ville sous peine de lynchage.
- Le 13 avril 2019, le domicile du nouveau préfet fut pris d’assaut par les populations pour réclamer la libération de chasseurs présumés assassins.
- Le 24 février 2019, le camp militaire de Dioungani subit une attaque quand le sous-préfet y était présent.
- Le 15 mars 2019, le même sous-préfet fut blessé au cours d’une embuscade tendue par des terroristes alors qu’il se trouvait dans un convoi militaire.
Cercle de Bandiagara
- Le 12 juin 2019, suite à l’interpellation par la MINUSMA de deux présumés assassins du président local des commerçants de Bandiagara, les bureaux du sous-préfet de Sangha ont été pris d’assaut par un nombre impressionnant de chasseurs réclamant leur libération et la revue à la hausse du bilan du massacre de Sobane-Da, à défaut ils annoncèrent qu’ils prendront en cible tous les symboles de l’Etat.
- Le 15 juin 2019, le premier adjoint au préfet reçoit un message téléphonique (SMS) l’annonçant sa tuerie par égorgement avec tous les membres de sa famille, en raison de son appartenance à l’ethnie peulh.
Du patriotisme des administrateurs civils et représentants de l’Etat
Dans un Etat organisé où les autorités ont souci de la représentation de l’Etat et la culture administrative bien maitrisée par les décideurs politiques, il est impensable que les représentants de l’Etat soient amenés à s’organiser pour réclamer de meilleures conditions de travail ou défendre des droits.
La représentation de l’Etat assure la permanence de l’Etat dans la légalité, l’égalité et la neutralité et à ce titre ne doit être considérée que comme un instrument de développement au service de la Nation. L’intégrité physique et morale des représentants de l’Etat doit être une priorité absolue puisqu’il incarne la puissance publique et l’autorité de l’Etat. C’est pourquoi, ils jouissent d’une grande considération et d’un respect républicain par les plus hautes autorités des plus grandes nations démocratiques.
A titre d’exemple, la commémoration de l’anniversaire de l’assassinat du préfet de Corse, Claude ERIGNAC, mobilise la première autorité de l’Etat français, alors que sous nos cieux, le massacre de six représentants n’a donné lieu, jusqu’aujourd’hui, à une manifestation de respect de leur mémoire, ne se serait que la décoration à titre posthume !
Les CEN SYNAC et SYLMAT sont loin d’être surpris par les propos méprisants et moralisateurs contenus dans le communiqué et l’interview du ministre en charge de l’Administration territoriale. C’est pourquoi, les autorités nationales pensent que les administrateurs civils doivent être les premiers à affronter les conséquences de leurs faiblesses (le capitaine qui doit être le dernier à quitter le navire) et les derniers à occuper les postes auxquels ils doivent légitimement prétendre (gouverneur de région)!
Les CEN SYNAC et SYLTMAT rappellent que leurs militants n’ont pas attendu la lecture de l’hymne national pour être les derniers à quitter Kidal, Tombouctou et Gao en 2012 quand des généraux abandonnaient le navire sans donner l’alerte !
C’est ce qui valut, le 28 juin 1990, la mort au camarade Moussa DIALLO, Chef d’Arrondissement de Tindermen et son épouse enceinte, les toutes premières victimes de la rébellion de 1990 !
C’est ce qui valut la mort au camarade Mohamed SANGARE, préfet de Bourem, avec son fils, le 5 avril 2012!
C’est ce qui valut, le 17 mai 2014, la mort aux feux camarades Amadou Belco BAH, Drissa COULIBALY, Commandant Mory DIARRA, Lieutenant Mahamane B TOURE, Sékou CISSOUMA, Paul Marie DIARRA, quand la République se cachait dans le camp de la MINUSMA et s’envolait en catimini par avion !
Enfin, c’est ce qui valut la mort au camarde Ibrahim AG TOUBEISSI, sous-préfet de Ouinerden, assassiné froidement jusqu’à domicile, le 18 mars 2018.
Par rapport aux menaces de sanction à l’encontre des représentants de l’Etat
Les CEN SYNAC et SYLTMAT rappellent que l’évocation sélective des dispositions des statuts des fonctionnaires et du corps préfectoral qui, au demeurant, imposent à l’Etat la protection de tous ses agents dans l’exercice de leur fonction, ne saurait émouvoir les administrateurs qui ont suffisamment compté leurs morts et blessés par la faute d’autorités qui n’ont pas assumé à hauteur de responsabilité leur mission de veille et d’anticipation !
En tirant leçon de la volonté des autorités du département de l’Administration territoriale de mettre les représentants de l’Etat dans une situation d’insécurité sans défense, les CEN SYNAC et SYLTMAT s’engagent désormais à poursuivre en justice, au pénal comme au civil, toute autorité par la faute de laquelle il y aurait atteinte à la vie d’un représentant de l’Etat.
Les CEN SYNAC et SYLTMAT demandent de nouveau à tous leurs militants dans les huit (8) cercles et 55 arrondissements de la Région de Mopti à rejoindre la ville de Mopti ou toutes autres localités plus sécurisées, jusqu’au désarmement total de toutes les milices ou jusqu’à la prise de mesure de protection sécuritaire par les autorités compétentes.
Cependant les CEN SYNAC et SYLTMAT se réjouissent de la reconnaissance subite des autorités nationales de l’importance de la présence des représentants de l’Etat dans l’affirmation de l’existence de l’Etat, de leur incarnation de l’unité et de la souveraineté nationales, ce qu’aucune autre corporation ne saurait mieux incarner qu’eux !
Les CEN SYNAC et SYLTMAT espèrent que cette prise de conscience, bien que tardive, permettra de levain pour mettre dans les meilleures conditions les représentants de l’Etat qui n’ont que leur pays, le Mali, à la place du cœur !
Je vous remercie !
Bamako, le 22 juin 2019
P/Le SYLTMAT, P/Le SYNAC,
Le Secrétaire général Le Secrétaire général
Olivier TRAORE Ousmane Christian DIARRA
Médaillé du Mérite Agricole Membre du Corps préfectoral